[INTERVIEW] Données personnelles : favoriser leur contrôle mais aussi informer sur les bonnes pratiques

En 2017, plus de 88 % des ménages français ont accès à Internet et 74% des Français s’y connectent tous les jours, un taux qui monte à 95% chez les 18-24 ans. Même s’ils sont les Européens utilisant le moins les réseaux sociaux, les Français laissent par facilité ou inadvertance un nombre croissant d’informations personnelles qui finissent par être revendues aux entreprises pour personnaliser leurs offres, cibler davantage leur communication et tracer des profils détaillés de leurs clients. De plus en plus sollicités, les internautes sont de plus en plus nombreux à manifester leur rejet des publicités ciblées et choisissent de les bloquer sans solution concrète pour les filtrer.

Nous avons échangé avec Alexandre Veses, fondateur de l’application Skeep(1) qui permet aux usagers du net de contrôler leurs données personnelles sur Internet.

Observatoire COM MEDIA : Comment vous est venue l’idée de l’application Skeep ?
Alexandre Veses : L’idée de créer Skeep m’est venue il y a 4 ans après un passage dans une agence d’emailings. Les données y étaient surexploitées et le parcours utilisateur y était manipulé.

Aujourd’hui, nos informations personnelles sont mises en danger par la fuite de données, les risques d’usurpation d’identité, les pratiques de phishing et la revente des fichiers. Dans un proche avenir, nous risquons de voir nos choix personnels et professionnels dictés par une dictature de l’algorithme auquel il faudrait obéir sous peine de passer pour un rebelle refusant le système.

Parallèlement, les technologies au service de la surveillance des états font craindre une perte progressive de notre libre d’arbitre. Face à ces enjeux sociétaux, économiques et moraux, l’objectif de Skeep est de rendre aux utilisateurs du net le contrôle de l’ensemble de leurs données personnelles. L’application dans sa version actuelle permet de gérer les données d’entrée du web (connexion par email ou réseaux sociaux). Je compte ensuite élargir le scope à d’autres types de données et participer à l’instauration d’un modèle économique vertueux basé sur des notions de transparence et de confiance.

Jusqu’à présent, les conditions n’étaient pas réunies pour lancer mon projet aussi j’ai dû patienter jusqu’à l’annonce de l’arrivée de la GDPR pour fonder Skeep en septembre 2016.

O.C-M. : Quelles actions comptez-vous mener à l’avenir ?
A.V. : Ma stratégie se projette sur une roadmap de 10 ans où chacune des nouveautés que je présenterai sera une disruption du marché. C’est un travail de longue haleine car il implique d’informer et de sensibiliser les consommateurs mais aussi les entreprises. J’ai tout d’abord contacté la CNIL qui a décidé d’apporter son soutien à mon application. Je mène également des actions avec l’association Signalspam qui visent à rassembler des pièces à conviction, automatiser les processus et faciliter le traitement des plaintes transférées par la CNIL.

Je suis convaincu cependant qu’il faut aller plus loin que la seule répression et travailler sur la sensibilisation des internautes aux enjeux du contrôle de leurs données notamment auprès des plus jeunes et Skeep travaille déjà sur une solution pédagogique qui pourrait être mise en place dans les écoles.

Côté entreprises et gestion de leur base de données, Skeep compte aider les plus vertueuses mais aussi celles qui veulent les rejoindre. La majorité d’entre-elles a du mal à se tenir informée des différentes règlementations notamment les grands groupes.

La problématique des données est toute aussi importante sur les marchés américains et canadiens et leurs 330M d’utilisateurs. Les lois y sont différentes ainsi que les mentalités mais je pense que Skeep peut s’y faire une place et c’est pourquoi je serai exposant au CES en janvier.

Les américains en ont assez de la surveillance de masse et de l’utilisation de leurs données par les entreprises. Leur système est cependant plus répressif et les risques d’indemnisation sont bien plus importants aux Etats-Unis alors qu’il n’y a aucune condamnation en Europe. En France tout particulièrement, mener une action collective est compliquée et coûte cher notamment en frais d’avocat. De plus, le préjudice en matière d’abus sur les bases de données est difficile à qualifier car elles ne sont pas considérées comme des biens personnels.

O.C-M. : Quels sont les enjeux autour des bonnes pratiques en matière de la maîtrise des données ?
A.V. : Les technologies du numérique en rapport avec la collecte, la gestion et l’utilisation des données (algorithmes, robots , IA dans les portables, objets connectés, etc…) posent des défis qu’il s’agit de relever dès à présent car elles engagent la responsabilité à la fois des concepteurs et des utilisateurs. Par exemple, si une voiture autonome provoque un accident, qui est le responsable ? Le propriétaire, le fabricant, le développeur du logiciel, l’administration ou l’entreprise en charge de la voirie ?

Il reste également beaucoup à faire dans le domaine du Marketing & de la Communication et du traitement des données où les abus sont encore trop nombreux et les sociétés éthiques pas toujours récompensées.

La GDPR(2) va rebattre les cartes en mai prochain et obliger les entreprises françaises à entamer une réflexion approfondie sur leur comportement vis-à-vis des données qu’elles utilisent. Avec cette nouvelle réglementation, elles vont devoir cartographier leurs bases de données, veiller sur leur bonne utilisation en interne mais aussi par leurs partenaires d’autant plus que les amendes en cas de manquement sont dissuasives.

Les entreprises auront tout à gagner à suivre une démarche transparente concernant la collecte et la gestion des informations clients et communiquer en ce sens car il vaut mieux pour une marque, 10 consommateurs motivés et volontaires que 1000 ayant le sentiment après coup de s’être fait voler leurs informations.

O.C-M. : Pourquoi vous êtes-vous rapproché de l’Observatoire COM MEDIA ?
A.V. : Ma décision de rejoindre l’Observatoire COM MEDIA traduit ma volonté de partager mes réflexions avec d’autres acteurs disposés à partager leurs bonnes pratiques et améliorer leurs métiers. J’en ai déjà eu l’occasion au cours du dernier événement organisé par l’association en intervenant à la table ronde « bonnes pratiques et réglementations(3).

1 https://www.skeep.co/
http://obs-commedia.com/actu/quand-la-data-revolutionne-le-marketing/
http://obs-commedia.com/actu/ce-quil-ne-fallait-pas-manquer-transformation-numerique-et-media-imprime/

About the Author

L’Observatoire COM MEDIA regroupe, depuis 2008, près de 300 acteurs de la filière de la communication (annonceurs, prestataires et institutionnels). L’association a matérialisé son positionnement autour des enjeux de la nouvelle économie de la communication. Les travaux réalisés portent sur le décloisonnement des métiers/secteurs, sur la structuration de la filière (constituée de 41 000 entreprises réparties en 19 secteurs d’activité) et sur l’accélération du business des entreprises par leur mise en relation entre les acteurs à travers des événements, des groupes de travail et des plateformes numériques.

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