Pierre Pelouzet, le médiateur national des relations inter-entreprises, dresse un bilan de l’année 2014. Les retards de délais de paiement se sont stabilisés mais ils restent supérieurs aux imites fixées par la loi. En 2015, il entend combattre les dérives des grands groupes liées à l’externalisation de certaines tâches, qui représenterait une charge financière croissante pour les fournisseurs.
Propos recueillis par Fabien Piliu – LA TRIBUNE
Quel bilan tirez-vous de l’année 2014 ?
Les dossiers de médiation individuels et collectifs sont en hausse, année par année. Nous avions reçu une centaine de dossiers de médiation en 2010. Nous en avons traité près de 1.000 l’année dernière. Le recours à la Médiation Inter-entreprises est désormais entré dans les mœurs.
Compte tenu de la morosité conjoncturelle, les retards de délais de paiement continuent-ils de progresser ?
Ils ne baissent pas mais n’augmentent plus. Enfin ! Après trois années de hausse, les retards de délais de paiement se sont stabilisés à 12 jours. Concrètement, au lieu de payer à 60 jours comme le prévoit la loi de modernisation de l’économie votée en 2008, les donneurs d’ordre règlent en moyenne leurs factures 72 jours après que celle-ci ait été enregistrée. C’est toujours trop. Ce sont les plus petites qui trinquent.
Comment résoudre ce problème ?
Il faudrait déjà que les entreprises ne travaillent pas tant que le bon de commande n’est pas signé. Il faudrait surtout opérer un changement de mentalité, une réelle prise de conscience de la part des directions achat et des engagements concrets.
La loi a pourtant été durcie !
Certes ! Mais la peur du gendarme n’empêche pas les comportements irresponsables, qu’ils soient conscients ou non. Comment peut-on imaginer qu’un donneur d’ordre n’ait pas conscience qu’il fragilise son fournisseur en ne le payant pas à temps ?
Les dirigeants des grands groupes et les patrons de PME ne vivent pas dans le même monde. C’est la raison pour laquelle, souvent inconsciemment je le répète, se multiplient les
pratiques déloyales
Quelles sont-elles ?
Nos médiateurs nationaux bénévoles, dont je salue la qualité, et nos médiateurs régionaux en ont repéré trois qui semblent être récurrentes. Pour régler leurs factures à temps, les
grands groupes ont décidé de dématérialiser leurs factures. L’intention est bonne. Mais accéder au système de dématérialisation a un coût. Il peut s’élever à 500 euros pour l’achat
du logiciel, auquel s’ajoutent les abonnements annuels qui peuvent atteindre 300 euros, à la charge du fournisseur. Un grand groupe veut donner la priorité au développement durable. Nous applaudissons. Mais cette démarche se traduit par un audit de ses clients par un cabinet privé. Celui-ci est payant.
Enfin, quand un groupe externalise certaines tâches administratives comme l’envoi de papiers réglementaires, de normes, il peut en faire supporter le coût par ses fournisseurs qui n’ont pas d’autres choix que de se plier à sa volonté.
Jusqu’ici diffuses, ces pratiques montent désormais en puissance. Certes, elles ne coûtent que quelques centaines d’euros aux PME. Mais beaucoup d’entre elles n’ont pas d’autres
moyens que de rogner sur leurs marges pour supporter ces nouvelles charges. Cet argent aurait pu être utilisé autrement. J’ai donné un nom à ces pratiques qui sapent les relations
de confiance entre les entreprises. Je les appelle les « irritants » !
Constatez-vous encore des chantages au CICE ?
Ce type de situation arrive encore. Mais les donneurs d’ordre sont plus discrets. C’est lors des négociations orales qu’ils demandent à leurs fournisseurs un rabais correspondant aux
économies permises par le CICE. C’est destructeur.
Vous êtes également en charge de la médiation de l’innovation. Quels sont vos dossiers les plus urgents ?
Il faut sécuriser l’utilisation du crédit impôt recherche [CIR]. Sur ce point, nous travaillons sur un référentiel des cabinets de conseil qui accompagnent les entreprises, contre de fortes
rémunérations, qui souhaitent utiliser le CIR. Tous les cabinets de conseil n’auraient pas un jugement fiable. Il faut aussi traiter les dossiers mettant aux prises les laboratoires de recherche publique et les entreprises. Les relations se tendent quand, après l’étape des travaux de recherche, intervient la création du produit. Les batailles autour de la propriété intellectuelles peuvent être acharnées. Nous devons intervenir.
Que se passe-t-il si une entreprise exportatrice n’est pas réglée à temps par son donneur d’ordre étranger ?
Nous intervenons. Dans de nombreux pays, le recours à la médiation est connu et compris. Toutefois, nous pouvons faire plus. Portée par la France et notamment par l’Observatoire des achats responsables, la norme ISO sera modifiée pour tenir compte de cette dimension. Cette nouvelle norme ISO devrait entrer en vigueur à la fin 2016. Notre Label Relations fournisseur Responsables reprendra ses critères.
Combien d’entreprises ont déjà obtenu ce label ?
Nous comptons aujourd’hui plus de 500 entreprises signataires de la Charte Relations fournisseur Responsables. En 2014, 26 ont souhaité concrétiser leurs engagements, aller plus loin dans la démarche et être auditées pour obtenir le Label Relations fournisseur Responsables.
Toutes les entreprises du CAC 40 ont-elles signées la Charte Relations fournisseur Responsables ?
Il en manque une dizaine à l’appel. Les constructeurs automobiles ne veulent pas en entendre parler, considérant qu’ils peuvent régler leurs problèmes en interne, au sein de la filière. Pourtant, les litiges existent. Un quart des médiations dans l’industrie, qui représente la moitié du nombre total de médiations, concernent le secteur automobile. Par ailleurs, les gros constructeurs n’hésitent pas à recourir à la médiation quand ils n’arrivent pas à dénouer un problème avec un fournisseur ! Nous sommes bien arrivés à faire admettre à la distribution et au secteur agro-alimentaire de l’intérêt de s’engager dans la charte et le label. Nous parviendrons peut-être à convaincre le secteur automobile. C’est le dernier secteur à résister.
Quel grand groupe a adopté une pratique particulièrement vertueuse ?
La SNCF paie à 30 jours. Il semblerait que Total et d’autres grands groupes commencent également à payer à cette échéance.
La loi peut-elle tout régler ?
Je ne le pense pas. Sinon, il n’y aurait plus de retards de délais de paiement. L’économie française est en train de sortir de la crise. Il ne manque que le retour de la confiance pour que celle-ci devienne réalité. Le dialogue, le respect de l’autre peuvent être plus efficaces que la loi pour restaurer la confiance. J’en suis convaincu.