[INTERVIEW] Se développer à l’international et proposer sa solution innovante ne s’improvise pas

Le 17 mai à l’ESCP Europe Paris, l’événement intitulé « Les chemins de l’innovation » a rassemblé toute une journée plusieurs centaines d’entrepreneurs et de cadres dirigeants des entreprises liées à la communication globale. Cette 3édition s’est placée sous le signe de l’innovation autour du thème » l’énergie d’entreprendre autrement ».

Rencontre avec l’un des intervenants de cette journée :
Gildas Duval, Partner chez French Accelerator

Observatoire COM MEDIA : Quel est votre parcours ?  En quoi consiste French Accelerator?

Gildas Duval : J’ai 25 ans d’expérience de business development à l’international dans les secteurs du digital et de la technologie. J’ai commencé ma carrière chez Apple et l’ai poursuivi comme directeur marketing à l’international chez StepStone, puis j’ai été directeur général pour l’Europe et l’Asie chez Quark, un éditeur de solutions de publication. Durant un passage en agence digitale, j’ai participé à la mise en place de French Accelerator qui a vu le jour il y a presque 2 ans. L’idée de French Accelerator est liée à un constat partagé par ses cinq associés, des franco-américains ayant une grande expérience dans le développement commercial aux Etats-Unis et aux compétences complémentaires exercées à haut niveau. Ce constat est que les entreprises françaises innovantes rencontrent des difficultés à s’implanter aux Etats-Unis avec un taux d’échec supérieur à 50%. Beaucoup d’entrepreneurs français ont perdu beaucoup d’argent, jusqu’à 500 000 voire parfois un million d’euros. Nous nous sommes demandé ce qui pouvait expliquer ce taux d’échec élevé. Il ne s’agissait pas d’un défaut de capitaux car il existe en France un financement convenable sur les phases d’amorçage et les séries A (lire article sur les levées de fonds).Une explication réside dans le manque de préparation et d’acculturation à tout ce qui est nécessaire pour réussir commercialement aux Etats-Unis. Forts de nos expériences dans ce pays, nous avons conçu un programme destiné à aider les entreprises de croissance française à capitaliser sur leurs innovations et être capable d’en tirer les fruits sur le plan commercial dans un marché globalement dix-sept fois plus grand que le marché français, et sur le plan financier avec un potentiel énorme d’investisseurs pour peu qu’on sache leur parler et leur montrer la viabilité du projet pour des séries B avec des levées supérieures à 10 millions de dollars. Notre crédo consiste à porter le message que la valorisation d’une entreprise aux Etats-Unis passe par le succès marketing et commercial et qu’il est nécessaire pour ce faire d’être perçu comme une entreprise pleinement américaine.

O.C. : Quelles sont les spécificités de l’innovation « à la française » ?

G.D. : Il faut savoir déjà que la France est perçue comme l’un des pays les plus innovants au monde. Elle est placée 3ème dans les principaux classements de plusieurs études reconnues. L’innovation en France passait jusqu’à présent par des écoles prestigieuses ou des structures vouées à la recherche comme le CNRS avant d’être mise en pratique directement par les grands groupes. Ce qui est en train de se passer maintenant, c’est que tout est en place désormais pour faciliter le développement des entreprises françaises innovantes notamment les start-up. Nous sommes perçus aux Etats-Unis comme étant des excellents ingénieurs mais des piètres vendeurs. Nos compétences en matière d’intelligence artificielle, de sémantique ou de datas sont reconnues. Les français sont performants dans la maîtrise des technologies de rupture dans des domaines propres au marketing, à la finance et la chaîne de valeur des grands groupes. Hélas, cette expertise remarquable (plusieurs géants américains ont installé des centres de recherche en France) n’est pas assez visible aux Etats-Unis et nous avons encore du mal pour les américains à transformer nos recherches en propositions de valeur pour le business sur leurs marchés.

O.C. : Comment se développer à l’international… plus particulièrement aux Etats-Unis ?

G.D. : Lorsqu’on vise les Etats-Unis, on s’inscrit dans un marché énorme, relativement peu réglementé avec une grande disponibilité de fonds destinés à la croissance des entreprises. C’est un environnement devenu très attractif qui paraissait difficile à pénétrer il y a encore une quinzaine d’années. Maintenant, c’est devenu une obligation et beaucoup de start-up françaises, passée la phase d’amorçage, réfléchissent à se développer aux Etats-Unis car elles constatent qu’en B to C notamment, il s’agit d’y être très visible pour bénéficier des appuis des géants américains et qu’en B to B, il y a de la place pour plusieurs acteurs dans différents segments de marché . S’il n’y a pas d’effet « winner takes all », le marché professionnel permet de développer son chiffre d’affaires aux Etats-Unis : la condition sine qua non pour se positionner comme un acteur international et décupler sa capacité de levée de fonds et se placer en position dominante sur un marché donné. Les entrepreneurs français pensent beaucoup plus tôt à l’international qu’auparavant avec d’avantage d’ambition notamment vers le marché américain qui n’est plus si éloigné que cela, plus particulièrement depuis le développement du digital. Un de ses atouts par rapport à l’Europe est qu’il bénéficie d’une unicité linguistique et réglementaire pour un volume d’affaires équivalent voire supérieur. Il est donc facile de s’implanter aux Etats-Unis à condition d’être bien accompagné et c’est pourquoi French Accelerator connaît un grand succès.

Pour vendre aux Etats-Unis, une société française doit être perçue comme étant de culture américaine. C’est un pays d’immigration aussi personne ne sera gêné par votre accent mais par contre, il faut maîtriser ses codes qui mélangent une grande simplicité dans les échanges et un certain pragmatisme. Trop souvent, les entreprises françaises complexifient leurs offres à l’excès ou ne présentent pas suffisamment leur avantage concurrentiel pour être comprises donc perçues par les donneurs d’ordres. La façon d’y « marketer » une solution est différente de celle en France et nous aidons nos compatriotes à adapter leur communication.  L’autre difficulté consiste à la difficulté de recruter aux Etats-Unis et de trouver un VP Sales très loyal. Enfin, il faut adopter une attitude durant les rendez-vous commerciaux bien différente des habitudes du vieux continent : il s’agit d’être avant tout ponctuel et direct, préciser rapidement ses attentes et simplifier au maximum son discours. Ce travail d’américanisation est essentiel sous peine de perdre beaucoup d’argent et de temps. Il faut aller vite en contrôlant son budget et on ne peut le faire qu’en étant bien conseillé. L’improvisation se paye très cher.

O.C. : Quels sont les atouts et spécificités (et points d’amélioration) de la France dans l’accompagnement de ses entreprises innovantes à l’international ?

G.D. : Les entreprises françaises bénéficient d’un panel d’aides assez riche. La BPI (Banque Publique d’Investissement) propose plusieurs programmes très utiles aux entreprises qui cherchent à trouver les bons partenaires. Des organismes publics comme Business France ou des initiatives privées comme celle de la French Tech avec ses hubs apportent des réponses pertinentes aux entreprises innovantes qui sont adaptées à leur stade de développement et aux marchés visés. Un entrepreneur français dispose par conséquent d’un écosystème facilitateur en matière de développement à l’international. Aux Etats-Unis par exemple, le réseau est un atout essentiel pour s’y implanter. Pour la seule Californie, 100000 français y travaillent. Nous fédérons la French Tech à Los Angeles et nous constatons déjà l’ampleur des résultats. Force est de constater que la présence de 200 start-ups françaises au CES en janvier dernier a été remarquée et a marqué les esprits. Toutes ces initiatives sont vraiment des atouts remarquables pour nos entreprises. Côté financement, la France est passée deuxième en Europe juste derrière la Grande-Bretagne dans le classement des investissements des entreprises innovantes. En volume, plus de 12 milliards d’euros ont été investis par notre pays dans 2000 sociétés mais nous ne sommes pas les premiers car nous sommes encore relativement déficients dans le financement des séries B (financement de croissance). Le « ventre mou » du financement de nos entreprises innovantes se situe au niveau des entreprises de taille intermédiaire, confirmées mais pas encore d’une taille suffisante pour être reconnu à l’international.

O.C. : Quelle est votre perception sur les actions de l’Observatoire COMMEDIA ?

G.D. : Je connais l’Observatoire COM MEDIA depuis sa création lorsque j’exerçais mes précédentes fonctions qui me permettaient d’être au cœur de l’écosystème de la communication en étant en contact à la fois avec des agences et des donneurs d’ordres. J’ai été très impressionné par le travail de l’équipe de l’Observatoire COM MEDIA pour tirer tout le potentiel des entreprises innovantes dans la chaîne de valeur de l’innovation malgré quelques résistances. Cette expertise s’inscrit très bien dans un dispositif plus global accompagnant les entreprises dans une transformation numérique qui entraîne des transformations radicales notamment dans le marketing et la connaissance du client. Ce positionnement intelligent est au service d’une approche qui est similaire à celle de French Accelerator qui veut que le développement d’une entreprise passe avant tout par son développement business, les affaires passant avant la finance. Il est tout aussi important à nos yeux de faciliter la mise en relation des start-up avec les donneurs d’ordres que de solutionner des problématiques de financement. Nous partageons le même ADN que l’Observatoire COM MEDIA

About the Author

L’Observatoire COM MEDIA regroupe, depuis 2008, près de 300 acteurs de la filière de la communication (annonceurs, prestataires et institutionnels). L’association a matérialisé son positionnement autour des enjeux de la nouvelle économie de la communication. Les travaux réalisés portent sur le décloisonnement des métiers/secteurs, sur la structuration de la filière (constituée de 41 000 entreprises réparties en 19 secteurs d’activité) et sur l’accélération du business des entreprises par leur mise en relation entre les acteurs à travers des événements, des groupes de travail et des plateformes numériques.

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